Plan culte : une messe dans la langue du Christ

saint ephrem - autel syriaque

L’histoire d’une église penchée, de chrétiens d’Orient, d’un rite vieux de 17 siècles, et de servants de messe qui font la grimace.

A l’ombre du grand Panthéon, on trouve une toute petite église coincée dans une cour : c’est Saint Ephrem-le-Syriaque. Les informations à l’extérieurs indiquent plutôt les concerts de musique classique que des offices. On précise toutefois sur le panneau “église chauffée”, on sait rassurer le visiteur. Et ces soirs-là l’église est même éclairée aux chandelles ! A l’intérieur, ce n’est pas très grand mais c’est joliment décoré de boiseries, de tableaux et de voiles.

Un matin, on y va à deux. On a prévenu à l’avance car on voudrait aussi filmer la messe. Le père est occupé à courir partout mais nous accueille de manière très chaleureuse. Il nous présente les lieux et finit par un “Soyez libres” que je décide d’interpréter comme une parole de bénédiction. Un jeune couple arrive juste après nous “On est en retard… ” “Non, nous ne vous inquiétez pas, c’est le changement d’heure ce matin. Vous êtes en avance ! Vous les amoureux vous êtes tellement beaux. Votre amour, c’est comme Dieu en train d’embrasser l’humanité”. Il a le sens de la formule.

C’est une église catholique, mais ici, le rituel est en syriaque, langue araméenne toujours parlée dans le sud-est de la Turquie et le nord de l’Irak. “La langue du Christ”, nous dit le prêtre. “Le rite est dérivé du monachisme et des enseignements de Saint Ephrem”, penseur et théologien du IVe siècle, initiateur de la musique sacrée syriaque. La suite ne m’étonne pas trop, ça donne le paquet avec l’encens et les grelots, en effet.  Et les chants chantés par des voix d’hommes tout devant sont bien trop compliqués pour l’assistance, même quand elle parle syriaque. Mais c’est vrai que c’est très beau.

En dehors de ça, l’orgue signé Yamaha accompagne dès qu’un chant n’a pas été prévu par la liturgie traditionnelle. On revient alors aux mêmes airs que dans la majorité des messes catholiques. C’est un drôle de contraste, ces chants menés par une femme au micro et les vieux chants des hommes. Je me souviens de ce moment où pendant que le prêtre servait l’eucharistie, une toute petite fille entonnait “Mon Dieu, tu es grand tu es beau” de tout son cœur. Un jeune servant de messe tout devant ne pouvait pas s’empêcher de faire une grimace moqueuse à chaque fausse note de la demoiselle. Ce devait être son grand frère.

On essaie de filmer mais l’église n’est pas droite. Elle penche et on ne sait pas si on doit se caler sur les gens ou sur les murs. C’est très énervant. De plus, le temps passe et je commence à craindre de ne pas avoir assez de batterie. Le rituel peut prendre des plombes parfois… Finalement quand le prêtre s’approche pour prononcer l’homélie, il se met simplement tout au bord de l’estrade, les orteils dépassent même un peu, et là il se lance pour une demi heure sans notes. Il me tutoie, il me parle de la Toussaint, de sainteté qui est pour tout le monde, des défunts et aussi des martyrs, de la continuité des martyrs.

Parce que c’est une église un peu spéciale ici. On est chez les chrétiens d’Orient, et l’on parle de chrétiens assassinés à Bagdad la veille de la Toussaint en 2010. Mais on est aussi dans une église qui a appartenu à d’autres communautés. Ça avait été le Collège des Italiens. C’était le Collège des Irlandais au XVIIe siècle, et on avait apporté dans cette crypte les dépouilles de prêtres martyrs irlandais assassinés par les anglicans. Les tombes ont été profanées à la révolution, on était venu détruire tout ça. Mais la nouvelle communauté syriaque installée là depuis 1925 a fouillé les ossuaires, rangés les reliques dans une nouvelle boite qu’on a justement bénie la veille. On a de la mémoire ici.

cedre ostensoir syriaque

La messe à peine finie, la vie ordinaire reprend. Les fidèles s’éparpillent dans plusieurs directions. Les visiteurs occasionnels repartent, les familles discutent dans la cour en plusieurs langues, les habitués se retrouvent dans la sacristie autour d’un verre. Je suis perdu dans ce fourmillement, c’est le genre d’église dont on n’apprend pas la langue en une seule fois.

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