On vous explique le tantrisme et ça va vous décevoir

Temple kajuraho tantra

Les monothéismes ça vous lasse, le tantrisme semble être une option terriblement sexy pour renouer avec le grand frisson spirituel ? Vous vous demandez quand même si votre dos tiendra le coup ? Pas si vite !

Tapez « tantrisme » sur n’importe quel moteur de recherche, et vous tomberez immédiatement sur des articles « sexo » listant les « dix conseils ultimes pour optimiser votre orgasme », illustrés de représentations de divinités orientales visiblement en train de mettre en application lesdits conseils tout en assurant la qualification de l’Inde aux mondiaux de gymnastique. Vous-mêmes vous attendiez-vous peut-être ici à d’émoustillantes astuces pour pimenter vos soirées ? Et bien laissez-moi vous dire que vous allez être déçus.

Car le tantrisme, l’authentique © , n’a rien d’une méthode pour booster votre libido. La mésinterprétation autour de ce terme – inventé par les Occidentaux au XIXe siècle à partir du terme « tantra » qui signifie « règle, traité »– a été résumée ainsi par l’indianiste américain David Gordon White : le tantrisme a été pris « pour une ritualisation de la sexualité, alors que c’est la sexualisation du rituel ».

De fait, le tantrisme désigne un ensemble de textes, croyances, rituels, qui ont infusé dans différentes branches de l’hindouisme puis du bouddhisme – bouddhisme tantrique ou ésotérique, la forme pratiquée aujourd’hui encore dans les pays himalayens, que nous avions évoqué la semaine dernière dans l’article sur les dakinis.

Illustration tirée du conte Gajendra Moshka (“La délivrance de Gajendra”), chromolithographie, vers 1900. Ce récit illustre les tourments de l’âme humaine (l’éléphant Gajendra), prisonnière du cycle des réincarnations (le lac) et de la souffrance (le crocodile qui l’a attaqué) et aspirant à la délivrance, la moshka, ici permise par la foi de Gajendra en Vishnou.

Le but de la pratique tantrique est  la libération –moksha, soit la fin du cycle des réincarnations– du pratiquant. Pour ce faire, celui-ci va suivre un enseignement par initiations, et devoir se soumettre progressivement à différentes expériences spirituelles et mentales, mais aussi corporelles et sexuelles. Et c’est normalement là que vous reprenez espoir et que vous vous écriez : « Ah, on va donc parler de cul! ». Bon d’accord, juste un peu.

La notice Ikea de la libération intérieure

Soyons honnêtes, la sexualité est présente et importante dans le tantrisme, ne serait-ce que par l’iconographie, où les représentations érotiques sont légion : il suffit de citer les sculptures des temples de Kajuraho (Madhya Pradesh), où se pressent chaque année des milliers de touristes.

Façade du temple de Lakshama (détail), temples de Kajuraho, Xe siècle, Madhya Pradesh, Inde. Bien qu’elles ne représentent que 10% de son programme sculpté, ce sont ses sculptures érotiques qui ont fait la célébrité de cet ensemble de temples aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Photo : Leon Petrosian, tous droits réservés.

Seulement, ce ne sont pas ici de divines parties de jambes en l’air qui sont représentées mais des… diagrammes (yantra). Et c’est ainsi que le couple torride se transforme en schéma trigonométrique.

 

En effet, les corps des personnages contorsionnés dans de multiples positions –dont certaines physiquement impossibles à réaliser- dessinent des figures dans l’espace qui, par un système de correspondances complexes, renvoient à des notions métaphysiques, que le fidèle peut ainsi visualiser et comprendre.

Saurez-vous retrouver le shatkona yantra (diagramme en forme d’étoile de David représentant l’union des contraires) sur cette image ? Photo : Manfred Sommerman, tous droits réservés

Quant aux peintures représentant des couples de divinités (celles qui servent à illustrer les articles « sexo »), elles ont pour but de rendre visible l’union du dieu, qui représente la potentialité, avec la shakti, c’est-à-dire l’énergie créatrice qui le met en mouvement.

Représentation de Samantabhadra et sa compagne Samantabhadrî (détail), Tibet, XVIIIe siècle, peinture à la détrempe, Paris, Musée des arts asiatiques Guimet. Photo : Agence photo RMN, tous droits réservés

C’est l’union vers laquelle le pratiquant doit tendre, en laissant son esprit atteindre progressivement des niveaux de conscience plus élevés qui lui permettront de fusionner avec le grand Tout.

“Tu rentres pas”

De même, si les rituels sexuels existent bel et bien dans le tantrisme, ils peuvent être purement symboliques et ne sont réservés qu’à un très petit nombre d’initiés, au prix d’une pratique spirituelle de plusieurs années : avouez que c’est un peu moins tentant vu sous cet angle.
Précisons également que ce type de rituel vaut pour le tantrisme indien, notamment le yoga tantrique, mais PAS DU TOUT pour le bouddhisme tantrique, car pas vraiment compatible avec la chasteté des moines tibétains.

Passée à la moulinette du mouvement New Age et autres “sagesses orientales”, cette doctrine ésotérique hermétique et complexe qu’est le tantrisme s’est donc transformée en un éventail de pratiques érotiques et sexuelles, sans liens avec les rituels tantriques, contribuant peut-être au sauvetage de mariages en péril mais aussi à l’alimentation d’un  cliché « Inde-terre-de-spiritualité » franchement lassant, contre lequel vous êtes désormais armés pour lutter – à défaut de connaitre les « dix conseils ultimes pour optimiser votre orgasme ».

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.