Tarling is darling, à Java le Coran flirte avec la pop

Des versets du Coran chantés par un imam sur de la pop sud-asiatique olé olé… le documentaire Tarling is darling, présenté au Festival Jean Rouch, avait toutes les chances de nous plaire.

Le point de départ du documentaire d’Ismail Fahmi Lubish a de quoi surprendre : sur la côte nord de l’île de Java, un imam progressiste demande une mise en musique des versets du Coran à un compositeur de chansons érotiques tarling dangdut. Ce style musical très populaire dans la région, se caractérise par des textes « osés » interprétés par des chanteuses court vêtues qui se produisent dans des shows au cours desquels les spectateurs masculins sont invités à monter sur scène et les couvrir de billets de banque. Ces spectacles, surprenants dans un pays qui a voté en 2008 une loi contre la pornographie et la « dépravation morale », sont l’un des paradoxes d’une société indonésienne en pleine mutation.

Documenteur

Ismail Fahmi Lubish nous en donne sa vision à travers un docu-fiction au ton ironique mais surtout très tendre. C’est là le résultat de la complicité qu’il a su tisser avec ses interprètes, non-professionnels : ils jouent ici leur propre rôle, non sans autodérision, quand on pense au compositeur Jaham, dragueur vieillissant qui voudrait donner un nouveau souffle à sa carrière. Lors de sa projection parisienne, la monteuse Dewi Alibasah venue présenter le film revenait sur le rôle de la fiction, qui souligne « le tragique des situations ».

S’adapter ou disparaître

Car Tarling is darling dépasse vite le caractère anecdotique et insolite de son pitch initial pour se focaliser sur la lutte des différents protagonistes pour s’adapter au mieux au changement. Compositeurs et producteurs confrontés au cyberpiratage, épouses et chanteuses lassées des rôles dans lesquels les hommes les cantonnent, responsables religieux démunis face à la montée en puissance du terrorisme islamiste et cherchant à comprendre la jeunesse : chacun se bat comme il le peut avec les armes à sa disposition.

Un passé dépassé

Le choix du tarling dangdut pour sujet devient alors hautement symbolique : née de l’association de la guitare (“tar'”), introduite par les colons hollandais, et de la flûte (“suling“), le tarling dangdut est à l’origine un style musical traditionnel, anciennement employé pour l’enseignement et la diffusion de l’Islam. Il doit la popularité dont il jouit encore aujourd’hui à l’adoption des codes de la pop music mondialisée, tandis que d’autres arts traditionnels autrefois populaires, comme le théâtre de marionnettes d’ombres (wayang kulit), tombent peu à peu en désuétude, comme le montre une scène de film où les artistes se produisent devant un public plus que clairsemé.

Retours de bâton

Cette survie a cependant un prix et si le tarling perdure, il y a sans doute laissé un peu de son âme : on voit dans le film des kiosquiers-disquaires vendre au kilo des CD 2 titres de tubes vite oubliés, interprétées par des chanteuses interchangeables choisies pour leur plastique plus que pour leurs talents vocaux. Ce prix, les protagonistes du film le paient aussi : l’imam laisse transparaître son mépris pour le compositeur lorsqu’il lui rappelle qu’autrefois les compositeurs jeûnaient avant de créer une œuvre “vraiment importante”… Avant d’apprendre à ses dépens que l’on ne reprend pas impunément des codes qui ne sont pas les siens : interprétant la chanson finalement mise au point devant les membres d’une organisation musulmane, il aura la surprise de voir son public de théologiens se comporter comme les foules populaires des shows tarling dangdut…au point qu’un spectateur lui laissera un billet !

Visuellement très soigné bien que comportant quelques longueurs, Tarling is darling vaut plus que le statut de simple curiosité. Pour le moment seulement visible en festival faute de distributeur, il vient de remporter le prix Bartok du meilleur film documentaire musical suite à sa diffusion au festival du Film ethnographique Jean Rouch. On ne peut que souhaiter le voir au plus vite diffusé en salles.

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