La Princesse et la Grenouille : vraiment vaudou ?

Le Docteur Facilier. Walt Disney Pictures, tous droits réservés

C’était 2009 : Barack Obama était président, vous dansiez sur Black Eyed Peas et Disney sortait La Princesse et la Grenouille, un hommage à la Nouvelle-Orléans et ses croyances, avec un méchant sorcier vaudou. Mais connaissant les antécédents du géant en matière de récupération, nous vous proposons un peu de fact-checking sur ce culte en fait très mal connu.

Le Vau… quoi ?

Petit topo pour commencer. Le vaudou (également orthographié vaudoun ou vodoo) est un culte animiste d’Afrique de l’Ouest, né dans le royaume du Dahomey (actuel Bénin).

Carte de l’ancien royaume du Dahomey (en orangé)

Si ses formes varient d’une région à l’autre, le vaudou reste centré sur les Lwas, un panthéon de divinités avec lesquels les hommes peuvent entrer en contact par le biais de différents rituels : sacrifices d’animaux, offrandes, transes, utilisation d’objets rituels… Chaque Lwa est l’incarnation d’un aspect de la nature, ce qui a amené à considérer le vaudou comme un culte animiste.

Mais il ne s’agit pas à proprement parler d’un polythéisme : les Lwas et notre monde ont été créé par Mawu, “l’Inaccessible”, une divinité suprême, jamais représentée car sans forme, et qui n’intervient pas dans la vie des humains.

La déportation des esclaves noirs vers les colonies antillaises et américaines va amener l’importation du vaudou vers ces terres, où il prend la forme d’un culte syncrétique, mêlant éléments de religion africaine et christianisme : c’est lui que l’on retrouve en Louisiane, où se déroule La Princesse et la Grenouille.

Plaque du Musée vaudou de la Nouvelle-Orléans. Photo: Perry Platypus, tous droits réservés

Mais ce film n’évite pas les approximations autour d’une religion mal connue et historiquement perçue comme une menace. La crainte d’une vengeance des esclaves noirs grâce à l’intervention de puissances occultes a longtemps hanté l’imaginaire des esclavagistes blancs et a contribué à forger l’image d’un culte maléfique. Celle-ci a notamment été par la suite véhiculée par le cinéma d’épouvante, où le vaudou se retrouve associé à tout un tas de pratiques magico-religieuses plus ou moins fantaisistes.

Affiche de Love Wanga, film américain de 1936. La planteuse haïtienne noire Clélie y invoque une armée de zombie afin de se venger d’Adam, un planteur blanc qui lui a préféré Eve, une femme blanche.

Les vévés ? Vaudou
(la statue à côté de la porte en revanche…)

Walt Disney Pictures, tous droits réservés

Le mur d’entrée de la maison du Docteur Facilier est orné de vévés, des symboles que le prêtre vaudou (hougan) trace autour du pilier central (potomitan) de la salle de cérémonie, considéré comme le lieu de passage des Lwas. Chaque vévé représente un Lwa et on trace le vévé correspondant à celui que l’on désire invoquer.

A gauche : vévé de Maman Brigitte, épouse de Baron Samedi et Lwa des morts ; à droite : vévé de Papa Legba, Lwa messager entre les esprits et les hommes

Même si le côté très graphique des vévés leur a valu d’être repris comme motif décoratif par des artistes et designers, ce sont bien des symboles vaudous traditionnels.

En revanche, la sculpture vaguement menaçante toute hérissée de clous à côté de la porte ressemble à une version horrifique des nkisi du Congo.

Nkisi Nkondi, XIXe siècle, bois et matériaux organiques, 72 cm, Etats-Unis, The Arts Institute of Chicago. Photo : Agence photo RMN, tous droits réservés.

Ces sculptures rendues “magiques” par un amas d’ingrédients spécifiques placées en elles étaient installées dans une hutte au centre des villages. Lorsque des troubles avaient lieu, on demandait au nkisi d’aider la communauté à retrouver le coupable : on plantait alors un clou dans la statue pour la mettre symboliquement en alerte. Visuellement, on se rapproche des “poupées vaudous” et on est culturellement sur le bon continent, mais ce n’est pas un objet du culte vaudou.

Le tarot ? Pas vaudou

Walt Disney Pictures, tous droits réservés

Les premiers tarots comportant, en plus du jeu traditionnel, vingt-deux cartes illustrées d’allégories en couleurs apparaissent au XVIIe siècle en Europe. Outre le fameux “tarot de Marseille”, on en comporte plusieurs variantes, qui vont être utilisées à des fins divinatoires à partir du XVIIIe siècle, avec un développement aux XIXe et XXe siècles : il s’agit donc d’une pratique relativement récente.

L’Astrosophie – Revue mensuelle de l’astrologie ésotérique et exotérique, de psychisme et de sciences occultes, publicité pour l’enseignement du tarot divinatoire, numéro de mars 1931, Paris, Bibliothèque Nationale de France.

S’il a été intégré tardivement aux pratiques vaudou dans certaines régions – en Haïti par exemple- le recours aux cartes, tarot ou cartes à jouer, ne fait historiquement pas partie des pratiques de divination du vaudou, davantage basées sur l’interprétation par l’officiant de signes obtenus par différents procédés : lecture des entrailles d’animaux, dessins à la cire ou bien des modes de divinations spécifiques comme le système de divination Ifa

Facilier opère davantage ici en diseur de bonne aventure classique, qui roule tout aussi classiquement le client crédule ! Lequel se laissera peut-être tenter par les “cartes à jouer vaudou” et autres Tarots de la Nouvelle-Orléans que l’on peut trouver en ligne.

Photo : Etsy

Les poupées ? Les deux


Là vous me dites ” S’il y a vaudou dans le nom, c’est que ça doit quand même avoir un rapport !” Certes, mais jusqu’à un certain point seulement.

La poupée vaudou telle qu’on la connaît est née de la confusion entre deux objets vaudous totalement différents. D’une part, les ouanga, ces paquets ficelés qui rassemblent plusieurs ingrédients magiques, et qui peuvent aussi bien protéger celles et ceux qui les portent que leur permettre d’ensorceler la personne de leur choix.

Ouanga contemporain. Photo : AfriZap, tous droits réservés

D’autre part, les poupées offertes sur les autels dédiés à Erzulie, la Lwa associée à l’amour, qui ne sont pas des objets magiques mais de simples offrandes pour se concilier les bonnes grâces de l’esprit.

Exemple de poupée moderne. Photo : Etsy

Ces deux éléments n’ont rien à voir entre eux mais ce sont retrouvés associés dans l’inconscient collectif, très probablement parce qu’ils faisaient écho à des pratiques magiques européennes très anciennes.

Ils peuvent en effet rappeler les dagydes, ces effigies utilisées pour la sorcellerie en Europe dès l’Antiquité. Ces poupées de bois, cire ou tissu contenaient un élément relatif à une personne donnée – cheveu, ongle ou nom inscrit sur un morceau de parchemin. Si l’on souhaitait lui nuire, la dagyde était transpercée d’aiguilles, démembrée ou brûlée. Les lecteurs d’Alexandre Dumas se souviendront qu’afin de nuire à la reine Margot dans le roman éponyme, le magicien René utilise une dagyde de cire qu’il transperce d’une épingle.

Dagyde contemporaine en cire. Photo : Dossier 21, tous droits réservés

La poupée vaudou moderne est donc principalement un avatar de la dagyde européenne et n’a qu’un lien très vague avec le vaudou.

Les têtes réduites ? Pas vaudou du tout

Walt Disney Pictures, tous droits réservés.

De nombreuses pratiques macabres ont été associées au vaudou dans l’imaginaire européen au cours des siècles : meurtres, cannibalisme, envoûtement des morts (les fameux zombies)… Des amalgames qui font le bonheur des amateurs de films d’horreurs mais n’ont souvent rien à voir avec le vaudou.

C’est ainsi que dans La Princesse et la Grenouille, Facilier exhibe fièrement une tête réduite (celle de sa mère), objet rituel sud-américain qui a à peu près autant de liens avec le vaudou qu’une poule avec un éléphant.

Tsantza, XIXe siècle, Madrid, Musée des Amériques. Photo : Luis Garcia, tous droits réservés

Les têtes réduites (tsantzas) appartiennent à la culture des indiens Jivaros, qui s’assuraient ainsi d’obtenir la force et le prestige d’un ennemi tué au combat tout en se prémunissant de sa vengeance. La tête réduite de Facilier n’indique donc rien d’autre qu’un grand respect pour sa maman.

Mama Oddie ? Vaudou

Au méchant Facilier s’oppose la bonne sorcière du bayou Mama Oddie, vieille femme pleine de sagesse sous ses airs excentriques. Si leur couleur blanche la placent visuellement du côté du bien, par opposition à Facilier dont le costume noir est inspiré de celui de Baron Samedi, le Lwa des morts, les vêtements de Mama Oddie sont inspirés de ceux portés par les officiantes des cérémonies vaudous, qu’il s’agisse du vaudou africain ou de ses variantes syncrétiques comme le candomblé brésilien.

Version contemporaine anonyme du Baron Samedi
Femmes lors d’une cérémonie vaudou en Haïti. Photo : Les Stone, tous droits réservés
Femmes lors d’une procession candomblé à Salvador de Bahia. Photo: Smart Travel, tous droits réservés

Des vêtements qui l’assimilent à une manbo (prêtresse), tandis que le boa domestique dont elle ne se sépare jamais est un hommage à Zombi, le boa de la plus célèbre des prêtresses vaudou nord-américaines, Marie Laveau (1801-1881).

Franck Schneider, Portrait de Marie Laveau, huile sur toile, vers 1920, Louisiana State Museum.

Mariée à un charpentier haïtien qui l’initie au culte vaudou, Marie Laveau se lance une fois veuve dans l’occultisme, la divination et la magie, où ses talents lui acquièrent une grande renommée. Reconnue comme prêtresse et surnommée la “Vodoo Queen”, elle devient une figure importante de La Nouvelle-Orléans, où son souvenir reste encore aujourd’hui très présent. Son fantôme y aurait été aperçu à plusieurs reprises et “hante” de façon plus certaine la pop-culture américaine. Plusieurs musiciens lui ont ainsi rendu hommage, à l’image du groupe Redbones en 1972 avec un The Witch Queen of New Orleans aussi qui conclue de façon aussi funky que creepy notre tour d’horizon vaudou.