Quel grand moment de communion entre les peuples peut rivaliser avec l’Eurovision chaque année ? Que ce soit le kitsch, le pathos, le syncrétisme ou le blasphème, les fidèles de l’Eurovision lui pardonnent tout. Voici un hommage à ses grands moments religieux
De la religion à l’Eurovision ? Étonnamment, si la politique est bannie de cette compétition, la religion a toujours réussi à s’y faufiler, souvent sous le prétexte de la représentation des cultures nationales et régionales. Mais est-ce si étonnant au royaume du kitsch, des costumes bariolés et des grandes mises en scènes ? Parfois quelques paroles sibyllines, de temps en temps de vilains blasphèmes (souvenez-vous de Lordi en 2009), ou simplement le plus souvent une inspiration faite d’empreints multiples comme la gagnante de l’an dernier Netta Barzilaï semblant prêcher en chaire devant son micro entourée de chats porte-bonheur dorés, voici un petit florilège.
KEiiNO – Spirit in the sky (Norvège, 2019)
Cette année, le trio norvégien de scandipop electro sélectionné pour le concours marquera l’histoire de la compétition en chantant en partie en same du Nord, la langue la plus répandue des peuples autochtones du Nord de la Scandinavie. Tant dans les paroles que dans l’imaginaire utilisé sur scène, le groupe a expliqué vouloir rendre hommage à l’ancienne religion chamanique :
” Selon la religion pré-chrétienne samie, les gens avaient des esprits qui les aidaient. Ils pouvaient avoir l’aspect d’un animal appelé Sáivu-loddi ou Sáivu-sarvvát. Nous avons écrit une histoire se déroulant à Sápmi il y a bien longtemps où une personne invoque son esprit pour trouver une force supplémentaire dans une situation difficile.”
Dans le clip, ça donne un résultat entre Narnia, la Reine des neiges et le Roi Lion, mais on y croit très fort.
Gali Atari et Milk and Honey – Hallelujah (Israël, 1979)
Porté par une victoire l’année précédente, Israël reproduit l’exploit avec Hallelujah en 1979. L’éphémère groupe obtient un succès mondial avec cette chanson bon enfant aux accents de cantique avant de se séparer mais la chanson accède au rang d’hymne culte en Israël. Parmi les nombreuses reprises de ce tube (plus de 200), Rika Zaraï reprend la chanson quelques années plus tard, nous faisant entendre en français les paroles d’espoir : “Alléluia, imagine encore / La colombe va se poser / Et pour toujours sur l’olivier /Tous les champs de batailles seront des champs de blé.”
Francesco Gabbani – Occidentali’s karma (Italie, 2017)
Les bouddhistes le détestent ! Le titre de la chanson, “le karma des occidentaux”, résume à lui seul le souci de cette parodie lourdingue. Mais à travers les costumes de singe, robes safran, sushis et namasté lancés à tort et à travers, il faut bien lire l’autocritique d’un société post-moderne. Francesco Gabbani et son parolier fétiche Fabio Ilacqua, ciblent notamment la culture internet, qualifiée de “coca des peuples / opium des pauvres”. Une formule qui leur avait déjà valu un disque d’or l’année précédente avec le single Amen, au refrain caustique : “Alors en avant le peuple /Qui espère un miracle/ On traite le deuil avec un Amen. /Du riche au look ascétique au pauvre en esprit / Oublions tout avec un Amen.”
Kali – C’est l’éveil (France, 2013)
Bon, on a un peu triché. Si le martiniquais Kali a bien représenté la France, c’était en 1992 avec la chanson Monté la riviè. Mais à travers des paroles comme « La rivière d’amour, la rivière de la vie » ou encore « un jour tu verras la source de la rivière », est ce que Kali ne voulait pas nous parler de Jah ? . Par la suite, Kali a mis toujours plus en avant sa religion rastafari au coeur de sa musique. Celle-ci est au centre de son album sorti en 2013, C’est l’éveil dans lequel il décide de chanter les Psaumes en compagnie de nombreux invités. Le syncrétisme du clip éponyme en envoie plein les yeux. Nous on aurait bien aimé qu’il revienne nous représenter en 2013 à la place de la chanson vaudou-rock l‘Enfer et moi d’Amandine Bourgeois.
Conan Osiris – Telemoveis (Portugal, 2019)
Finissons ce soundclub avec notre favori de cette édition, ne serait-ce que pour le nom divin qu’il s’est choisi. La carrière du portugais Conan Osiris, qualifié d’ovni de la compétition, abonde de références religieuses depuis son premier EP nommé Cathedral. Sa chanson Telemoveis aux paroles absurdes (J’ai cassé le téléphone portable/ En essayant d’appeler le ciel/ Pour savoir si je tue la “saudade” /Ou si c’est moi qui meurs ) marquera grandement par sa prestation scénique. Les costumes d’Osiris et son comparse rappellent ceux du Careto, fête portugaise remontant à l’époque celtique où les hommes à la fin de l’hiver s’habillent de manteaux à poils longs avant de courir et de crier frénétiquement dans les rues des villages.
Nous dédions respectueusement cet article à Thomas Römer, théologien protestant et grand fan de l’Eurovision, qui avait su prédire la victoire de Netta Barzilaï l’an dernier.
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