Un jeu vidéo inspiré de la lutte des femmes pour accéder au temple de Sabarimala

Alors que la Cour Suprême indienne examine les recours déposés contre sa décision d’autoriser l’accès au temple de Sabarimala aux femmes, un jeu vidéo vient tourner en dérision une situation complexe, à la croisée du politique et du religieux.

Le principe de Darshan Diversion est simple : empêcher l’accès d’un temple hindou à des femmes réglées – fait signalé par un halo autour du personnage. Le.la joueur.euse peut incarner aussi bien une femme que le prêtre barrant avec obstination l’entrée d’un sanctuaire.

Capture d’écran du jeu Darshan Diversion(©Gobal Game Jam)

Créé en 2016 par Padmini Ray Murray, Joël Johnsson et K.V Ketan, Darshan Diversion a été conçu lors d’une jam session autour du thème “Rituel”. Il s’inspire directement de l’interdiction faites aux femmes ayant entre 10 et 50 ans – et donc réglées- de pénétrer dans le temple de Sabarimala (Kerala).

le jeu Darshan Diversion
Vue du sanctuaire de Sabarimala. Photo : Temple de Sabarimala, tous droits réservés

Cachez ce sein…

Cette interdiction est motivée par le statut du dieu qui y est vénéré : archétype de l’ascète chaste, Ayyappa est un naishtika brahmachari, un “célibataire éternel”, un être volontairement voué à l’abstinence. Les règles, associées à l’impureté dans l’hindouisme, sont aussi un rappel de la sexualité qui est ici jugé offensant pour le dieu et justifie l’interdiction d’accès aux femmes en âge de procréer.

Abhilash Pattathil, Le dieu Ayyappa, gouache sur papier, non daté.

Une interdiction que la Cour Suprême indienne a jugé contraire aux droits des femmes et à leur liberté religieuse en octobre 2018, ouvrant l’accès du temple aux femmes et mettant fin à la bataille juridique menée depuis près de vingt ans par les militant.es féministes. Cette décision a déjà eu un précédent : en 2016, la justice fédérale s’était prononcée en faveur de l’ouverture du temple de Shani Shingnapur (Maharashtra) aux femmes.

Mais si celle-ci avait été le fruit d’une concertation pacifique, ce ne fut pas le cas à Sabarimala, où la décision de la Cour Suprême donna lieu à des violences et des manifestations de la part des nationalistes hindous. Début 2019, l’entrée -sous escorte policière- de deux femmes, Bintu Ammini et Kanaka Durga, a donné lieu à une nouvelle flambée de violence, faisant au moins un mort et une quinzaine de blessés. Femmes et militantes y réagirent en formant une chaîne humaine de 620 kilomètres – soit 3 à 5 millions de femmes– à travers tout le Kerala.

Une tradition nouvelle

Ces violences faisant suite à une décision de justice qui a déjà été rendue par le passé sans que cela ne génère la moindre tension a de quoi surprendre. D’autant plus que l’interdiction défendue par les conservateurs au nom de “l’intégrité de l’identité hindoue” est récente : elle daterait selon les anthropologues du milieu du XXe siècle. Un jugement de la Haute Cour du Kerala en 1991 fait même état d’une confirmation de la part des responsables religieux de l’ouverture du temple aux femmes réglées en dehors des périodes de pèlerinage.

Du point de vue religieux, les choses sont également loin d’être univoques. Comme pour toutes les divinités hindoues, les légendes concernant Ayyappa sont nombreuses et parfois contradictoires : il est ainsi représenté au temple Anchankvil Sree Dharmasastha avec… ses deux épouses, Poorna et Pushkala.

Ayyappa assis avec Poorna et Pushkala, VIIe siècle, Gangaikondacholapuram,
 Historical Museum of Rajendra Chola

Les nationalistes oublient par ailleurs un peu vite le caractère syncrétique de cette divinité : né de l’union de deux dieux – Shiva et Visnu, sous sa forme féminine de Mohini- , Ayyappa est considéré par certains fidèles comme une incarnation du Bouddha. Il est également honoré par les musulmans du Kerala en tant que compagnon d’armes de Vavar, saint légendaire venu d’Arabie convertir la région. Une mosquée dédiée à Vavar se trouve d’ailleurs à proximité de Sabarimala.

Erumeli Nainar Juma Masjid, aussi connue sous le nom de mosquée de Vavar, Kerala. Photo : Office du tourisme du Kerala

La religion du pouvoir

La raison qui pousse le parti nationaliste hindou (BJP) à faire de Sabarimala un symbole n’est pas religieuse mais politique. Ce sont deux coalitions de gauche, communistes et socialistes, qui se succèdent à la tête du Kerala depuis 1957 : en plein campagne pour les législatives d’avril, c’est dans un rapport de force politique qu’est entré le BJP, à l’origine des appels à protester et dont les militants constituent le gros des manifestants.

Un enjeu politique qui vaut aujourd’hui aux deux femmes entrées dans le temple d’avoir été déplacées suite à des menaces. De même, les concepteurs de Darshan Diversion se sont vus être la cible d’une virulente campagne de harcèlement sur les réseaux sociaux après la présentation du jeu dans une exposition à Bengaluru.

Son apparente simplicité dit bien toute l’absurdité d’une situation où se fait sentir le poids des jeux de pouvoirs, qu’il s’agisse du pouvoir politique ou du rapport femme/homme : lors de la création de Darshan Diversion, Padmini Ray Murray, l’une des conceptrices, a ainsi été confrontée à la réticence de ses partenaires masculins à rendre la menstruation visible. C’est en effet in fine la visibilité des femmes dans l’espace public, qu’il s’agisse d’un lieu de culte ou d’une jam session, qui reste en question.

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